Le Blue Velvet

[Château des Casparek <=]

Un point brillant allant à toute allure, voilà ce qu'un passant pourrait voir s'il marchait le long de la route à ce moment là, il fallait dire que j'avais la mauvaise tendance de rouler assez vite et je devais prendre sur moi pour lever le pied, cette mauvaise habitude n'avait guère changé depuis mon Etreinte, j'entends encore mon père me passer un savon lorsqu'il apprenait que je m'étais fait arrêter pour excès de vitesse. Toutes ces petites infractions se terminaient par des amendes, il fallait dire que la position hiérarchique de mon père pesait lourd dans la balance lorsqu'il fallait me condamner à une peine. Mon père... Que dirait-il s'il savait ce que j'étais devenu à l'heure actuelle, cette question ne se serait sans doute jamais posée vu que j'aurais été forcé de m'éloigner de lui comme je l'ai fait du reste de ma famille... Malheureusement, depuis l'endroit ou il se trouve, il doit sûrement savoir ce qu'est devenu son fils, un Mort-Vivant. Si j'étais destiné à cette existence nocturne, j'avais l'espoir qu'il puisse être fier de moi là-haut, qu'il sache que malgré tout, je ne suis pas si différent de celui qu'il a connu autrefois et qu'au plus profond de ce corps pâle et glacé que seule ma volonté est capable de réchauffer, mon Humanité n'a pas totalement disparue et qu'en moi brille toujours cette étincelle qui fit des Humains le peuple élu par le Très-Haut. La silhouette d'une biche traversant la route vint me tirer brutalement de mes rêveries et j'effectuai un brusque coup de volant pour éviter la collision, ce fut très juste. Par prudence, je décidai de rouler prudemment pour le reste du chemin qu'il me restait à faire, c'est-à-dire plus grand chose au vu de la vitesse à laquelle j'avais roulé précédemment.

Petit à petit, les lumières étincelantes de Chicago se rapprochèrent je retrouvais la civilisation, vivre à l'écart de la ville avait bon nombre d'avantages comme le calme et la sérénité, mais la ville avait ce bourdonnement de vie qui la rendait si attrayante. Le Blue Velvet se trouvait dans le quartier nord de la ville, les Vampires y avaient d'ailleurs un accès libre, le portier était apparemment capable de reconnaître les Fils de la Nuit cachés parmi les Mortels et leur offrait l'accès, il leur était permis de passer la file d'attente souvent assez longue et de pénétrer à l'intérieure de la boite de la nuit directement, au nez et à la barbe des Humains qui devaient faire une longue file avec parfois la crainte de se voir refuser l'entrée à la boite de nuit. Je garai ma voiture un peu plus loin et décidai de laisser ma veste à l'intérieure, même si je ne ressentais plus la chaleur, je n'avais guère envie de passer pour un idiot alors que ce devait être une véritable fournaise, tant sur la piste de danse qu'au bar. Passant une main désinvolte dans ma chevelure, je me dirigeai d'un pas conquérant vers l'entrée du Velvet Blue, la file était longue. Toutefois, malgré le privilège accordé aux Morts-Vivants, je choisis d'attendre mon tour comme tout le monde. Cela me permettait d'observer un peu mieux les nouveaux arrivants et de repérer d'éventuelles proies potentielles et d'autres parts, si j'allais malgré tout obtenir un pass pour le Bar VIP, je ne souhaitais pas passer devant une cinquantaine de personnes qui attendaient peut-être là depuis déjà un long moment. Après une petite demi heure d'attente, je me retrouvai face au Portier qui me regarda fixement, je soutins son regard et il me tendit un pass pour le carré VIP avant de pousser la porte de son bras musclé, m'invitant à entrer. Esquissant un signe de tête en guise de remerciement, je m'avançai vers la porte, prêt à enflammer la piste de danse et à attirer tous les regards sur moi. Le Toréador était dans la place.

A peine fus-je rentré dans le bâtiment que je fus assourdi par le volume auquel la musique passait dans les baffes, un DJ très connu se trouvait aux platines, il n'était dés lors pas étonnant que la jeunesse de Chicago se presse à l'intérieur de ce lieu à la fois de détente mais aussi de débauche, les jeunes alternant piste de danse et bar, la plupart d'entre eux terminaient devant la boite de nuit, plié en deux face à un mur entrain de régurgiter tout l'alcool qu'ils avaient consommés quelques heures plus tôt. Spectacle désolant s'il en est mais ô combien familié ayant moi-même quelques expériences peu reluisantes en la matière. Mains à moitié rentrées dans les poches, je m'avançai en balayant la salle du regard pour détailler avec plus d'attention la population du Velvet qui était constituée de manière assez habituelle par des jeunes gens et jeunes femmes tous plus ravissants les uns que les autres. La clientelle était d'un haut standing et c'était compréhensible si l'on se référait à la célébrité de ce club dans toute la ville de Chicago. La majorité des fetards se trouvait sur la piste de danse, se déhanchant au rythme des musiques endiablées envoyées par le DJ survolté du haut de son podium. Assis au bar, je finis par repérer un jeune homme à la longue chevelure blonde et aux yeux d'un bleu intense, totalement hypnotique pour les Mortels qui se trouvaient à ses côtés et qui le dévoraient du regard sans aucune discretion. Celui que je pensais considérer avec raison comme un Mort-Vivant m'adressa un léger sourire, il paraissait lui aussi m'avoir "percé à jour" si je pouvais m'exprimer ainsi.

Je fus quelque peu hésitant quant à la conduite à suivre, devais-je me joindre à lui et à son petit groupe ou bien demeurer seul pour l'instant et me diriger vers la piste de danse, finalement mes pas me conduisirent jusqu'au jeune homme blond assis au bar, rien en m'empêcherait de le quitter par la suite si le coeur m'en disait et si finalement il me paraissait désagréable, j'aurais au moins eu la politesse d'aller le saluer. La courtoisie étant une valeur qui me tenait particulièrement à coeur. Lui rendant son sourire, je m'approchai avec aisance et volupté de la bande que je gratifie d'un sourire et d'un signe de tête en forme de salut avant de m'adresser directement au jeune homme blond qui avait capté mon regard il y a de celà quelques instants.

Bonsoir. M'asseoir à une table seul m'est déprimant et je serais ravi de tuer le temps en votre compagnie, si ma présence ne vous incommode pas bien entendu. Je me nomme Michael.

L'homme continue de sourire en voyant que le jeune vampire décide de le rejoindre, malgré la foule de chair jeune et fraîche qui l'entoure. Lorsqu'il se trouve à seulement quelques mètres de lui et de ses accompagnatrices, l'homme blond glisse quelques mots à l'oreille de l'une d'elle, qui fait un signe à ses amies avant de s'éloigner avec elles vers une table libre afin de laisser le vampire seul avec son semblable. Il est accoudé au bar, et observe Michael s'approcher avec respect, mais toujours ce petit sourire qui laisse deviner un très léger sentiment de supériorité chez lui.

Alors que je m'approche lentement de mon semblable, me faufilant parmi la foule jusqu'au bar du Blue Velvet, je peux voir son sourire s'agrandir sur son visage, apparemment ravi que je me joigne à lui, il attire la tête de l'une de ses admiratrices vers sa bouche et lui chuchotte quelques mots à l'oreille, ces dernières quittèrent la table un peu après que je les ai saluée et se dirigèrent vers un coin plus reculé du bar, soucieuses de ne pas déranger les deux Morts-Vivants dans la discussion qui allait suivre. Plus proche, je puis détailler avec plus de précision mon interlocuteur, ce dernire possédait de longs cheveux blonds lui tombant jusqu'à la naissance de la nuque et la lumière des spots se refletaient dans ses yeux bleu azur dans un tourbillon multicolor. Toutefois je peux sentir dans ce sourire parfait une pointe de supériorité à mon égard, sans doute était-il un plus ancien Vampire que moi car il me connaissait, alors que je ne savais rien de lui. Je ne savais si je devais me montrer flatté ou méfiant en pareilles circonstances mais finalement je choisis d'opter pour la première solution. Annabelle lui était familière à ce que je pouvais déduire de ses paroles, une amie proche ou alors tout simplement une relation normale entre un membre d'une secte et son primogène, je n'aurais su le dire.

Moi de même Bret. Ainsi vous connaissez Annabelle ? J'ai reçu une lettre de sa part pas plus tard que ce soir m'invitant à une soirée organisée dans sa suite à l'hôtel Milton's. J'ai hâte de la rencontrer en personne.

Tandis que je parlais, je m'emparais du verre que le barman venait de poser sur le comptoir, un alcool fort s'il en était accompagné de deux glaçons, rendant le mélange glacé et buvable pour n'importe quel Mortel, portant lentement le contenu à mes lèvres, je ne fus pas surpris de ne reconnaître aucune saveur. Ce brevage avait encore moins de saveur que l'eau en avait pour un être humain, une autre malédiction du vampirisme sans aucun doute. Je repose lentement le verre sur le comptoir et reporte mon attention sur le Vampire qui me faisait face, le Toréador dégageait un charme certain et il n'était pas étonnant que bon nombres de Mortelles se trémoussaient autour de lui, toutefois je percevais, à tort peut-être, un air faux dans son attitude... Peut-être n'était-ce qu'une fausse impression, je verrais bien par la suite.

Il s'agit plus pour moi d'un moment de détente qu'une véritable mise en condition, voir tous ces gens en proie à une telle insouciance me rappelle comment était mon ancienne vie, qui n'avait pas que des mauvais côtés par rapport à celle que j'ai maintenant pour être totalement honnête. Et vous ? Que venez-vous faire dans cet endroit si ce n'est le plaisir d'être entouré de charmantes créatures comme celles-ci ? Dis-je en lui faisant un clin d'oeil complice tout en désignant le petit groupe de filles qui s'était éloignée d'un signe de tête.

Le verre que pose le barman non loin de ma main est rempli d'un liquide ambré dans lequel baignent deux glaçons, se diluant dans l'alcool pour le refroidir et le rendre moins sec et agressif au palais et à la gorge, délicatement je m'empare du verre et l'apporte à mes lèvres pour boire une gorgée de liquide, comme je l'avais présumé, aucun goût ne vient chatouiller mes papilles gustatives qui étaient à présent incapable de percevoir la moindre saveur mis à part celle du sang, triste fatalité. Mon interlocuteur m'imite et lui non plus ne semblait percevoir aucune saveur, certains se demanderont pourquoi alors commander une boisson ? Je répondrai alors qu'il est nécessaire de paraître le plus humain possible, surtout lorsque l'on se trouve en compagnie d'une grande majorité d'entre eux, certains voient cela comme un fardeau, moi je le ressens plutôt comme un besoin, une envie de garder au maximum le même comportement que j'avais auparavant et par nostalgie de ce qu'était ma vie il n'y a de cela pas encore si longtemps. Mon attention se reporta sur Bret alors qu'il m'annonçait être en fait l'Infant de la Primogène chez qui j'allais me rendre le lendemain soir, Annabelle. Nouvelle qui provoquait chez moi un nouveau respect pour le Vampire qui me faisait face, il devait sans aucun doute être très apprécié au sein des Toréadors et une figure connue pour avoir une Dame aussi prestigieuse. Je lui adressai un sourire impressionné et amical avant de lui poser quelques questions au sujet de sa Mère.

Eh bien, je ne pensais pas avoir la chance de rencontrer l'un de ses Infants, ce doit être un grand honneur d'avoir reçu l'Etreinte de la part d'une personne aussi distinguée. Etant donné qu'il s'agit de ma première entrevue avec notre Primogène et que vous avez l'honneur de bien la connaître, j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je vous demande quels sont ses goûts, j'aurais souhaité lui amené demain un petit cadeau en guise de remerciement pour son invitation sans pour autant trop en faire, je ne voudrais pas qu'elle ait l'impression que je souhaite l'acheter, s'il y a bien une qualité que je souhaite conserver de mon Humanité, c'est la sincérité.

Je m'emparai une nouvelle fois du verre pour en déguster une nouvelle gorgée tout en écoutant ce que me disait Bret. Je n'avais aucune idée de l'âge qu'il avait réellement, s'il avait déjà plusieurs décénies il paraissait tout à fait accoutumé à l'ambiance des Mortels actuels, ce qui signifiait qu'il avait reçu l'Etreinte à cette période ci, il y a de cela quelques années peut-être... Plus j'écoutais les paroles du Toréador, plus je ne pouvais m'empêcher d'être d'accord avec lui. Beaucoup de Vampires n'étaient hélas pas digne de confiance, occupé à ourdir leurs machinations pour accroître toujours plus leur influence au sein de la Société Vampirique, si certains gardaient encore un tant soit peu de morale, d'autres n'hésitaient pas à tuer et à ruiner la réputation de certains Vampires dans le but d'obtenir plus de prestige, de gloire et de pouvoir.

Les Mortels n'ont pas le poid de notre existence à porter, l'existence d'un Mortel est courte et par conséquent beaucoup plus intense que la nôtre, profiter du jour suivant comme s'il était le dernier, voilà la devise de beaucoup d'êtres humains... Alors que nous, l'Eternité nous tend les bras avec son lot d'avantages, certes, mais aussi la solitude dans laquelle nous vivons, regardant sans cesse derrière notre épaule dans la crainte d'être poignardé dans le dos par l'un de nos frères vampiriques pour l'une ou l'autre raison... Oui je vous comprends Bret, je vous comprends.

Je repousse le verre presque vide vers le comptoir avant de me lever du tabouret sur lequel j'étais précédemment assis, la salle était de plus en plus bondée et l'heure avançait tout doucement et j'allais prendre congé du Toréador.

Navré de vous laisser déjà aussi rapidement, mais j'ai encore beaucoup de choses à faire ce soir, ce fut un réel plaisir de vous rencontrer Bret, j'imagine que nous nous reverrons demain soir à la petite réception de la Dame Annabelle. Passez une agréable soirée.

Je lui fis un dernier signe de tête agrémenté d'un léger sourire avant de tourner les talons et de me diriger vers la sortie de la salle. La nuit était encore longue et je comptais la mettre à profit pour trouver une éventuelle proie, je n'aimais guère employer ce terme mais je devais m'y résigner, faute d'un meilleur terme. Je faisais toujours le plus attention possible et m'arrêtait généralement très vite pour éviter de mettre en danger ma victime, je n'avais guère besoin de beaucoup. Généralement, j'apprécie de me faire inviter dans l'habitation de ma proie, c'était une endroit beaucoup plus confortable et j'étais dés lors totalement maître de la situation et faisait en sorte que tout se passe pour le mieux. La file devant le Blue Velvet était toujours aussi dense, il me fallu quelques minutes de marche pour retourner à ma voiture, je mis les clés sur le contact et démarrai sans plus tarder en direction de la Banlieue Nord et de la petite commune DePaul.