La tombée de la Nuit, l'heure ou les derniers rayons du soleil disparaissent derrière l'horizon pour laisser place au pâle éclat de la Reine de la Nuit et aussi l'instant ou mes yeux s'ouvrent, me faisant quitter les méandres d'un sommeil protecteur et réparateur. Je me relève lentement, le corps empêtré dans des couvertures qui me sont inutiles mais dans lesquelles j'ai toujours l'habitude de dormir, par confort et peut-être par nostalgie de la chaleur qu'elles m'apportaient jadis. D'un mouvement lent de la main, je me frotte le visage pour chasser les dernières traces de sommeil et quitte le lit confortable qui m'accueillit précédemment. Une légère sensation de tristesse m'envahit alors que j'observe les volets désespérément fermés et les longs rideaux rouge foncé tirés devant les larges fenêtres de ma chambre. Dans mes rêves, il m'arrive de me souvenir de la douceur des rayons solaires me carresser la peau et du plaisir que l'on ressent en observant un ciel d'un bleu éclatant, sans nuages. Oui cette lumière du soleil me manque et cette sensibilité nourrit en moi bon nombre de questions: Suis-je devenu si monstrueux que le Soleil se refuse à me tolérer face à lui ? Dieu m'a t-il puni pour un péché que je n'ai jamais voulu commettre ? Ces questions me rongent l'esprit chaque nuit, lorsque je m'éveille seul dans le noir et celles-ci demeureront peut-être à jamais sans réponses. Je passe ma main dans mes cheveux en bataille, marqués par l'oreiller et je réfléchis à mon programme de cette nuit, jadis, dans les premiers jours de ma Non-Vie, je n'osais sortir de ma chambre, ou plutôt l'envie me manquait... J'étais effrayé. Effrayé de cette existence sans fin qui m'attendait, effrayé de me confronter à l'Humanité que j'avais perdue en l'espace de quelques secondes, effrayé de ce que je serais capable de faire pour obtenir cette liqueur à la fois exquise et répugnante qu'est le Sang. Ces peurs finirent par me quitter, car je m'imposai une certaine ligne de conduite qui m'éviterait de sombrer dans l'abîme de ce nouveau pouvoir qui coule à présent dans mes veines.
Faisant quelques pas dans ma chambre, je tirai les longs rideaux rougoyants et ouvrit les volets, laissant entrer la lueur pâle de la lune à l'intérieur de ma chambre plongée dans une obscurité perpétuelle, la fenêtre donnait sur un petit balcon qui offrait un panaroma splendide sur ma propriété, il m'arrivait parfois comme à l'instant d'ailleurs de me rendre à l'extérieur pour sentir la brise nocturne s'engouffrer dans mes cheveux et rafraîchir mon visage tourné alors vers les étoiles, grandes figures d'un spectacle céleste que les Mortels oubliaient souvent de contempler et qui pourtant avait le grand pouvoir de m'emplir de sérénité. Peut-être était-ce ma nouvelle condition qui me permettait d'apprécier à leur juste valeur des spectacles dont les Humains se sont détournés. Poussant un long soupire, je retournai à l'intérieur et après avoir de nouveau fermer les volets et tirer les rideaux, je me dirigeai lentement vers la grande salle de bain qui se trouvait dans la pièce voisine, cette dernière était équipée d'une baignoire à jets ainsi que d'une douche séparée qui permettait tant les lavages rapides que les jeux érotiques auquel je me livrais de temps à autres avec l'une de mes calices ou une jeune femme que j'enlevais au monde des mortels pour le plaisir d'une nuit magique. J'enlevai mes pantoufles et me glissai dans la douche, refermant la porte vitrée derrière moi avant de tourner les robinets, m'aspergeant d'eau chaude et noyant mon corps dans un océan de vapeur. Il me fallu quelques minutes pour me laver et rapidement je sortis de la douche, m'emparant d'une serviette que je nouai de manière à masquer mon intimité et retournai dans ma chambre, les dernières gouttes d'eau ruisselant sur mon torse musclé avant de s'écraser par terre, mes lèvres s'étirèrent en un sourire amusée à la pensée des protestations de Nathalie, ma femme de chambre, Nathou comme je me plaisais à l'appeler, elle était âgée de 50 ans et se comportait comme une mère avec moi, ne se génant pas pour me gronder lorsque je laissais mes affaires traîner ou que je salissais le sol qu'elle devait ensuite nettoyer, je l'appréciais énormément. Quelques secondes plus tard, je faisais face à mon immense garde robe en chêne massif, de très belle facture il fallait l'avouer. A l'intérieur, j'en tirai une chemise violette et un jean que je m'étais récemment fait livrer d'une grande boutique de Chicago, je me tenais au courant des dernières tendances vestimentaires via internet et était d'ailleurs inscrit sur plusieurs sites de magasins très réputés qui m'envoyaient régulièrement un récapitulatif de leurs nouvelles collections.
Ce soir, ma destination serait le Velvet Blue, boite hautement réputée dans le milieu des mortels vivants à Chicago et sans aucun doute la plus branchée de celles que je connaissais, bien qu'il me soit déjà arrivé de me rendre dans des endroits plus modestes et il m'était arrivé de faire de bien plus belles rencontres dans ce genre de milieu que dans le carré VIP du Velvet. Face à mon miroir, je fis attention de bien soigner ma tenue, mes vêtements avaient été récemment repassé par Nathalie qui était à vrai dire ma femme de ménage attitrée, les autres s'occupant surtout du bien être de mes nombreuses Calices. Si certains Vampires considéraient leur "Troupeau" comme de vulgaires coupes de sang, il n'en était rien me concernant. J'aimais les choyer et faisait tout mon possible pour qu'elles ne manquent de rien et soient aussi heureuses que possible, ainsi je n'entravais en rien leur liberté et ces dernières pouvaient circuler ou bon leur semblaient tant bien évidemment qu'elles évitaient de mentionner ma condition. Je n'en aimais aucune et à je les aimais toute à la fois, aucun sentiment amoureux n'avait réchauffé mon coeur sans vie depuis bien longtemps mais j'avais pour elles une grande affection tel un grand frère veillant sur ses petites soeurs, il m'arrivait parfois de pratiquer l'acte charnel en leur compagnie mais je me refusais à moi même la possibilité d'aimer, je ne pouvais envisager de mettre ma moitié en danger, le Monde de la Nuit était un univers dangereux et sans pitié, le Père seul sait les actes malveillants et déloyaux que certains Caïnites pourraient faire à mon encontre en se servant de la femme que j'aime pour me nuire. Un petit coup de parfum sur ma nuque, parfait pour énivrer une dame qui danserait avec moi et un peu de gel dans mes cheveux noirs pour me donner un air indomptable et je me sentais prêt pour affronter une nouvelle nuit.
J'ouvris la porte de ma chambre et me retrouvai dans un couloir richement décoré et illuminé par plusieurs lampes accrochées au mur, à côté de la porte se trouvait une petite table plaquée or sur laquelle était posée une lettre soigneusement écrite et portant un sceau en la forme d'un T. J'entrepris de décacheter l'enveloppe et laissai parcourir mes yeux sur l'écriture harmonieuse et soignée d'une certaine Annabelle, esquissant un sourire malicieux, je ne pu m'empêcher de me dire que si cette dernière portait son prénom avec raison, il me serait très agréable de la rencontrer. Cette dernière me conviait à une petite fête qu'elle organisait dans sa suite du Milton's Hotel. Pourquoi refuserais-je une invitation si avenante ? Je refermai soigneusement l'enveloppe et fit demi tour pour en ouvrant la porte de ma chambre dans le but d'aller déposer cette lettre sur mon bureau, j'en profitai aussi pour accrocher une montre à mon poignet, il valait mieux ne pas courir le risque de ne pas voir le temps filer. Attrapant une veste au passage, je pris à nouveau la direction du couloir de ma demeure en direction du rez de chaussée et plus précisément du Hall d'Entrée, l'escalier qui descendait vers ce dernier était constamment illuminé par le magnifique lustre de cristal qui pendait au plafond. Sur mon chemin, je croisai Hector, mon chauffeur, vêtu de son habituelle veste de costume noire et de sa chemise blanche. Ce dernier s'avança tout naturellement vers moi en inclinant la tête.
Bonsoir Monsieur. Puis-je conduire Monsieur ?
Pas ce soir Hector, je vous remercie. Je m'en vais au Blue Velvet pour m'oxygéner un peu après cette journée de travail, étudier les rapports de l'entreprise de mon père m'occupe une bonne partie de mon temps, j'ai besoin de prendre une pause et de me changer les idées, je vais prendre la Porshe. Je serai sans doute de retour vers 4 à 5h du matin. Prenez votre soirée et ne vous inquiétez pas pour moi, je serai prudent sur la route.
Je terminai ma phrase avec un grand sourire amusé accompagné d'un clin d'oeil amical à mon majordome avant de me diriger vers la porte d'entrée et d'emprunter un petit sentier de graviers qui me mena jusqu'au grand garage à l'intérieure duquel se trouvaient la magnifique porshe, voiture de sport par excellence, tape à l'oeil et "cool" comme la qualifierait les gens de mon âge. Ma limousine que j'utilisais pour me déplacer aux rendez-vous important, peut-être l'utiliserais-je d'ailleurs demain pour me rendre au domicile de cette mystérieuse Annabelle. Je me glissai à l'intérieur de la voiture sur le siège en vrai cuir et allumai le contact, de l'index gauche je pressai un bouton qui fit s'ouvrir la grande grille d'entrée et démarrai dans un vrombissement sonore, le volume de la radio était haut et je me mettai déjà en condition pour la soirée qui s'annonçait bonne, du moins je l'espérais. La Porshe franchit la grille et fila dans la nuit noire en direction du Centre de Chicago.
[=> Direction le Blue Velvet]